Habiter : entre philosophie et nostalgie

Actualités - 20 oct. 2020

 

Habiter : entre philosophie et nostalgie

« Tout espace vraiment habité porte l’essence de la notion de maison. » S’appuyant sur la formule de Gaston Bachelard, philosophe français des sciences, de la poésie, de l'éducation et du temps, l'exposition Maisons Poc, dans le cadre de Lille Métropole 2020, Capitale Mondiale du Design, invite à (re)penser notre habitat, qui prend parfois la saveur des madeleines de Proust.

 

En matière de conception d’habitat comme en autre science, il est toujours utile de revenir aux bases pour tenir un raisonnement pertinent que l’on pourra appliquer de manière efficace. C’est sans doute cet esprit qui a animé les organisateurs de cette exposition se tenant depuis le 9 septembre et jusqu’au 15 novembre dans la capitale des Flandres, la métropole lilloise succédant à Turin, Séoul, Helsinki, Le Cap, Taipei et Mexico comme Capitale Mondiale du Design en 2020. Ainsi la présentation de cette manifestation débute-t-elle en rappelant que « pour habiter, il faut s’attarder dans un endroit, rester, ne serait-ce qu’une courte période. » C’est à cette expérience que sont conviés les visiteurs-acteurs de la Maison Poc Habiter qui prend place au Bazaar Saint So. Fruit du regard croisé de deux agences d’architecture, BLAU et Studio Rijsel, la Maison Poc Habiter a pour ambition de dresser le panorama des projets du territoire.

 

Précisons que, emprunté au vocabulaire de la recherche scientifique, Poc est l’acronyme anglais de proof of concept (preuve de faisabilité, dans la langue de Poincarré) qui correspond au moment où l’on teste le prototype d’une solution afin que les retours d’expériences aident à rendre plus performant et efficace son déploiement, voire son industrialisation. Une cinquantaine de Poc sont présentées pour illustrer la diversité des initiatives dans les domaines de l’espace public, du logement, du mobilier, du process de conception, etc., sous le thème de la domesticité, dans la continuité de la pensée de Gaston Bachelard : « Tout espace vraiment habité porte l’essence de la notion de maison ».  Les organisateurs rappellent à bon escient que l’espace domestique a pris une importance croissante ces dernières années et plus encore dans la période que nous venons de traverser. Des contributeurs d’horizons différents : Hortense Soichet (photographe), Alain Berteau (designer) Sophie Delhay (architecte) et Alice Cabaret (urbaniste) partageront leur vision de la domesticité et de notre capacité à habiter un environnement.

 

De l’appropriation intime aux inspirations transversales

Le « mot » des commissaires de l’exposition Marie Blanckaert (BLAU), Édouard Caillau et Thomas Lecourt (Studio Rijsel) comprend quelques réflexions traduisant l’état d’esprit de la démarche entreprise. Elles rappellent aussi que la maison peut être le lieu de l’appropriation intime pour chacun de ses habitants et que, participant à leur vie comme « un abri, un refuge, un gîte » elle peut se muer en madeleine de Proust dans leurs souvenirs nostalgiques. Ainsi, « le songe d’une maison, l’accumulation des souvenirs des lieux que nous avons habités constitue qui l’on est. Ce bagage de souvenirs nous accompagne au fil de nos déménagements. Nos rues, nos voisins, nos écoles, nos commerces définissent, in fine, le lieu que l’on habite. Petit, on transforme son espace, sa chambre. On y fabrique une cabane avec quelques draps, on y place ses jouets pour créer une histoire proche du réel. L’imagination est fertile, c’est le lieu de l’évasion. Plus âgé, nous transformons nos maisons pour qu’elles s’adaptent à notre famille. On pousse les murs, on fabrique des meubles, on détapisse et on peint dans une couleur qui nous plaît. On s’approprie l’espace, on habite les lieux. Avec l’avènement des programmes et des enseignes de travaux, l’habitant s’est emparé de cette capacité à transformer. Nous façonnons notre chez soi à notre image et il évolue concomitamment avec la famille, c’est notre HOMESCAPE, il nous est propre. Ce chez soi se transforme jusqu’à ce qu’il n’ait plus la capacité d’abriter des qualités correspondantes à l’évolution de nos vies. »

 

 

Pragmatiques, les commissaires de l’exposition soulignent aussi la transversalité d’inspiration qui opère depuis quelques années entre les espaces résidentiels domestiques et ceux des lieux collectifs des hôtels, sièges sociaux et bureaux. « En parallèle, cet esprit domestique s’exporte. Ce sentiment de bien-être propre à la maison tend à habiter d’autres lieux comme le travail et l’espace public. Du mobilier domestique apparait dans les espaces de bureaux : des canapés, lampes, tables et tapis recréent des salons pour offrir un sentiment protecteur et rassurant. Dans l’espace public, du mobilier similaire s’installe. De nouveaux modes de vie y sont pensés, en s’éloignant du banc typique, afin d’inciter à rester, partager, interagir. Ce mouvement est accompagné par les professionnels. Les designers conçoivent des espaces et mobiliers propices aux rencontres et à la créativité dans les bureaux. Les architectes proposent des logements des plus individualisés comme de plus en plus flexibles et appropriables par les habitants. Les espaces s’ouvrent à tous les possibles et laissent place à l’imprévisible, à une grande liberté d’aménagement. »      

 

Comme le prône depuis sa création notre magazine Culture Agencement, le constat de cette transversalité, ou fertilisation croisée du champ des habitats, doit aussi être une approche incontournable pour les intervenants de la filière que sont les architectes d’intérieur, les agenceurs, les concepteurs de mobilier (de cuisine équipée, mais pas seulement), les designers et les décorateurs. 

 

Jérôme Alberola

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