La publicité nous manipule-t-elle ?

Actualités - 21 janv. 2020

 

La publicité nous manipule-t-elle ?  

Et le cas échéant, quelles sont les techniques employées ? Réponses franches de Philippe Oudot, enseignant et conférencier sur le sujet à l’Institut Lumière de Lyon. Et un conseil en 5 questions. 

 

 

Culture Agencement : Entrons directement dans le cœur du sujet : la publicité nous manipule-t-elle et quels sont alors ses procédés ? Varient-ils selon les supports (affiches, annonce presse imprimée, radio, spots TV) ?   

Philippe Oudot : Oui ! On croit souvent que l’on est imperméable, il n’en est rien. Un produit très cher, pas bon et qui tue la moitié de ses consommateurs a réussi à s’imposer à cause de la publicité. Dans le détail, les procédés sont très nombreux, mais le principe général consiste à offrir un « plus produit ». On ne vend pas la voiture, mais ce qui va avec. Prenez la pub pour la Renault Captur : un homme jeune qui a plein d’amis, de l’argent (casino), une activité de rêve (chanteur) il ne lui manque qu’une super femme qui arrive à la fin du message. Les qualités du produit ne sont pas évoquées. La pub à la radio est plus nuancée car plus informative, traitant d’une promotion en cours par exemple.

 

Culture Agencement : Ces procédés ont-ils varié au cours des 10 ou 20 dernières années ? Y a-t-il des secteurs d’activité (ou familles de produit) davantage concernés ?

Philippe Oudot : La principale évolution vient des DATA. Les informations que l’on a sur la cible permettent d’adapter le message. Une voiture sera plus confortable pour un senior et plus écolo et dynamique pour un trentenaire. Les slogans sont en anglais, notre cerveau les comprend, mais le phénomène de traduction fait qu’il s’en méfie moins. Tous les secteurs sont concernés, mais c’est dans la politique que les changements sont les plus importants.

 

Culture Agencement : Peut-on critiquer la publicité d’avoir recours à de tels procédés, alors que son principe même et sa vocation sont de rendre le plus séduisants et attrayants possible les produits représentés, voire de « vendre du rêve », selon une expression bien connue dans le métier ? En d’autres termes, au-delà des interdits posés par L’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), quelles sont les limites entre la séduction et le mensonge ?   

Philippe Oudot : « Vendre du rêve » constitue en soi un mensonge. A part celle de la décence il n’y a pas de limite. L’ARPP est composée de publicitaires. De plus, sur le Net, il n’y a aucune régulation. Les contre-vérités sont donc largement utilisées. La campagne « pro-Brexit » en a été un exemple flagrant. Si je peux donner un conseil aux consommateurs, c’est de se poser 5 questions à chaque démarche d’achat : ai-je besoin de ce produit, me sera-t-il utile ? Est-il produit est-il solide ? Est-il « Niké », c’est-à-dire son coût de production correspond-il au prix affiché (dans le cas de baskets Nike, il est de 10% du prix, le reste étant consacré à la publicité) ? Enfin, cela me plait-il ? Cette procédure bien appliquée permet d’échapper à tous le système.

 

Culture Agencement : En 2004, Patrick Lelay, alors Pdg du groupe TF1, annonçait « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible », signifiant que par le divertissement et la détente, les émissions de télévision ont pour vocation de susciter cette disponibilité chez les téléspectateurs pour les préparer entre deux messages publicitaires afin qu’ils soient mieux perçus. À l’époque, cette déclaration cynique avait soulevé une polémique. N’est-elle pas encore plus justifiée aujourd’hui, alors que les supports de publicité se sont multipliés pour la rendre invasive sur les écrans de nos ordinateurs et de nos smartphones qui captent notre attention et diminuent notre capacité de concentration, donc de vigilance ?     

Philippe Oudot : Patrick Lelay s’adressait à ses clients : les annonceurs. Cet état de fait est exacerbé avec Internet. Comme je le dis dans mes conférences « La monnaie sur Internet, c’est mon attention ». Qui dit abonné, follower, like ou clique, dit revenu important. Tout est donc fait pour nous captiver, et ça fonctionne. Il n’y a qu’à voir tous les zombies qui scrollent les portables de façon compulsive. La différence entre un portable et un insupportable ? Le portable c’est vous qui l’utilisez ! »

 

Propos recueillis par J.B

 

Bio express :

Philippe Oudot est réalisateur de cinéma de formation. Après plusieurs vies professionnelles, il a proposé sa première conférence « L’’école du spectateur » en 1992 à l’Institut Lumière de Lyon. Depuis, il en présente sur le cinéma, les médias et la publicité à environ 12 000 élèves par an.

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